Alors que la levée de l'interdiction de rémunérer les comptes courants est devenue effective ce mois-ci, les principaux réseaux bancaires, qui attendaient cette mesure depuis longtemps, semblent curieusement être frappés d'immobilisme. Qui dégainera le premier ?
Rémunération des comptes courants : la fin de l'exception française
Après des années de débats et de rebondissements (rappel à l'ordre de la Barclays au début des années 90, et plus récemment de la Caixa Bank), les banques sont donc autorisées à rémunérer les comptes courants. Il aura fallu l'initiative de la Caixa Bank en 2002 [filiale d'une société de droit espagnol, la Caixa s'était vu interdire par la Commission bancaire la commercialisation d'un compte de dépôts à vue rémunéré à 2 % l'an, à partir d'un encours de 1 500 €] et la procédure lancée par elle devant la Cour européenne de justice pour faire sauter ce verrou longtemps considéré comme inviolable.
L'arrêt de la Cour européenne constatait que l'interdiction de rémunérer les dépôts constituait une gêne pour les établissements de crédit, filiales françaises de sociétés étrangères, dans la collecte de capitaux auprès du public. Ces sociétés, privées du droit de rémunérer les dépôts, ne sont pas en mesure de pratiquer une concurrence efficace aux établissements de crédit traditionnellement implantés en France et dotés d'un important réseau local. A ce titre, cette interdiction s'analysait simplement comme une restriction à la liberté d'établissement, contraire au traité de Rome.
La Cour ne s'est pas montrée convaincue par les arguments de la France qui consistaient à justifier cette restriction par des raisons impérieuses d'intérêt général : la protection des consommateurs et l'encouragement de l'épargne vers des investissements à moyen et long terme. La Cour n'a pas nié l'intérêt général mais elle a estimé que la mesure d'interdiction allait au-delà des objectifs visés par la France.
Prenant acte de la décision de la Cour européenne (décision du 5 octobre 2004) et de l'annulation de la sanction envers la banque par le Conseil d'Etat (arrêt du 14 janvier 2005), le ministre de l'Economie, Hervé Gaymard à l'époque, s'était engagé en février à faire abroger l'interdiction le plus rapidement possible. L'arrêté est finalement publié au Journal officiel du 16 mars.
Attentisme général
Une telle victoire, attendue par les banques depuis longtemps, pouvait laisser supposer qu'elles allaient toutes sortir leurs armes commerciales instantanément. Or, il n'en est rien, et les réseaux semblent se regarder en chiens de faïence. "La réflexion est toujours en cours", "toutes les options restent ouvertes", les banques restent à l'écoute de leur clientèle..., tel est le discours général des établissements dont la presse se fait l'écho.
A ce jour, seule la Société Générale a officiellement pris position dans une lettre adressée à ses clients en janvier. La banque a opté pour un statu quo qui se justifie, selon elle, par l'attachement de ses clients à l'équilibre actuel. "si les attentes de nos clients évoluent, alors nous évoluerons aussi", a affirmé par ailleurs son président, Daniel Bouton.
D'autres établissements étudient la possibilité de proposer la rémunération des comptes à des clients volontaires. D'autres encore attendent que la réglementation sorte et veulent voir comment le marché évolue avant de se positionner, autrement dit, elles ne proposeront la rémunération des comptes que si les concurrents les y obligent.
La concurrence, une étude réalisée par le cabinet Sherwood Alliance et Publi-News, auprès de 66 établissements bancaires dans 9 pays européens, en donne une idée. D'une part, il apparaît que la rémunération des dépôts n'est pas systématique chez nos voisins. Certaines grandes banques, comme la Commerzbank en Allemagne, ne la pratiquent pas. D'autre part, il existe une très grande disparité des taux (selon le réseau bancaire et la clientèle : de 0,1 % à 6 % !) et des conditions qui accompagnent souvent le droit à rémunération (solde minimum par exemple). En outre, l'étude démontre que les initiatives de rémunération semblent davantage venir des petites banques ou des banques à distance, toujours à l'affût de capter une nouvelle clientèle, généralement considérée comme de haut-de-gamme.
La fin du ni-ni ?
La levée de l'interdiction de rémunérer les comptes à vue par la CJCE relance le débat sur la gratuité du chèque. Mais est-ce pour autant la fin du "ni-ni" : ni rémunération des comptes, ni facturation des chèques ? La rémunération des comptes à vue désormais possible devrait donc logiquement ouvrir du coup la voie à la facturation des chèques. Pour les banques, la position a toujours été claire : pas de rémunération des comptes bancaires sans hausse tarifaire. Or, compte tenu des polémiques actuelles sur les hausses des tarifs des services bancaires jugées excessives, peu de banques semblent enclines à franchir le pas.
Les associations de consommateurs sont bien évidemment vite montées au créneau. Peu enthousiastes, elles voients dans la rémuénration des dépôts un miroir aux alouettes : concrètement, des rémunérations infimes, qui risquent d'être imposées et qui seront loin de compenser la hausse des frais bancaires. Elles craignent aussi que ne se creuse encore plus le fossé entre les clients (aisés) qui pourront encore négocier avec leur banque et les autres disposant de bas revenus.
Pourtant, la facturation des chèques n'est pas inéluctable. Tout en permettant de proposer un compte rémunéré accompagné de services payants, la Cour européenne de justice préconise, dans sa décision d'octobre dernier, de continuer à offirir un compte non rémunéré assorti de services gratuits.
Un non-événement ?
Dans le contexte économique actuel, à savoir de faibles taux d'intérêt, l'arrivée des comptes rémunérés semble être finalement un non-événement.
En outre, l'étude Sherwood-Alliance/Publi-News indique que le succès des comptes rémunérés paraît, en France, toutsauf assuré. Considérés ailleurs en Europe comme un substitut à l'épargne, ils pourraient difficilement s'imposer dans un pays où celle-ci est déjà très développée, d'autant que la rémunération de ces dépôts est bien évidemment imposable.
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